Nichée entre mer et montagne, Kep envoûte par la beauté de sa nature, le chic de ses établissements et le charme suranné de ses villas en ruine.
Des montagnes recouvertes de jungle surplombent l’océan d’un bleu azur saupoudré d’îlots. Au loin, un petit bateau de pêcheur glisse lentement sur la mer étincelante. C’est ici, au cœur d’une vallée verdoyante, que trône la paisible station balnéaire de Kep. Un peu partout, de vieilles villas en ruine rongées par la végétation témoignent d’une époque glamour lointaine où colons français et riches Cambodgiens venaient y passer le week-end. Transformée en ville fantôme par 20 années de guerre, Kep renaît aujourd’hui de ses cendres et redevient la station branchée d’autrefois, multipliant les établissements chics et attirant la crème des expatriés français ainsi que la convoitise des investisseurs.
Un destin avorté
Située au sud du pays, à 170 kilomètres de la capitale, Kep est la destination idéale pour s’évader de Phnom Penh le temps d’un week-end. Fondée en 1908 sous le protectorat français, la cité connut son heure de gloire dans les années 60. Lieu de villégiature préféré du Roi Sihanouk, qui veut en faire «le Saint Tropez du Cambodge», la cité bénéficie de l’impulsion du programme d’urbanisme et de tourisme lancé par le parti Sangkum Reastr Niyum, au moment de l’indépendance en 1953. Les nombreuses villas aux formes originales et modernes témoignent de cet âge d’or du Cambodge, qui est alors le pays le plus avancé de la région.
Mais dans les années 70, le pays plonge dans son époque la plus sombre, la guerre civile laissant la place à la folie khmère rouge, un régime paranoïaque d’inspiration «communiste-maoïste» qui massacrera un quart de sa propre population. Kep, comme toutes les autres villes du pays, sera alors vidée de ses habitants, envoyés travailler dans les campagnes ou exécutés dans les «champs de la mort», s’ils sont considérés comme «intellectuels». Laissée à l’abandon, la station balnéaire devient une ville fantôme et les luxueuses villas sont peu à peu envahies par la végétation luxuriante. En 1979, avec le début de l’occupation vietnamienne, l’abandon fait place au pillage. Portes, fenêtres, carreaux… tout ce qui a de la valeur, jusqu’aux fils électriques, sont arrachés pour être revendus.
Ce n’est que dans les années 90 avec l’arrivée de l’ONU, que Kep retrouve enfin un peu de calme et déjà quelques aventuriers français en tombent à nouveau amoureux. Ceux-ci achètent des lopins de terre à un prix dérisoire, sentant le potentiel de cet endroit encore parfois secoué par des échanges de tir avec la guérilla khmère rouge qui se cache dans la jungle.
Cité branchée
Aujourd’hui, le Cambodge a mis un point final à sa période troublée et Kep sort de sa torpeur. Quelques anciennes villas ont été rénovées et transformées en logements haut de gamme, comme le Knai Ban Chat et son sailing club, lancé par deux belges ou l’hôtel du Foreign Correspondant’s Club. De nombreux établissements à la fois chics et originaux ont vu le jour dans les hauteurs de Kep, comme le Véranda Natural Resort, qui propose des bungalows nichés dans la jungle offrant une vue splendide sur l’océan. De plus en plus d’expatriés achètent du terrain, ce qui n’est que théoriquement impossible, et se font construire de magnifiques villas. Sans compter les extravagantes résidences privées des membres du gouvernement en bord de mer. Kep est sans conteste redevenue le lieu d’escapade des riches Cambodgiens et expatriés français.
Une frénésie immobilière anime d’ailleurs la petite cité. A tel point que certains paysans se sont retrouvés parfois à vendre leur terrain à plus de 100 $ du mètre carré. L’endroit est paradisiaque et pourtant encore très abordable. Comme le calme avant la tempête, on sent le «boom du tourisme» sur le point d’arriver. Des centaines de murs d’enceinte sont construits, signes des terrains qui se vendent comme des petits pains. Pourtant il ne s’agit que de spéculations et le flot des visiteurs est encore bien modeste. Mais les perspectives sont grandes. Les rumeurs vont bon train, depuis que le gouvernement a fait de Kep sa «priorité nationale». La construction d’un port de plaisance est évoquée et un nouveau poste frontière serait à l’ordre du jour. En face, à 30 kilomètres, se trouve la fameuse île vietnamienne de Phu Quoc : une éventuelle future nouvelle porte d’entrée vers le Cambodge qui renforcerait le potentiel touristique de la région.
Kep la francophone
«Montée du tourisme oui, mais pas de masse» insiste la très présente communauté francophone, bien décidée à préserver le statut d’exception de Kep. «Pas question de faire un deuxième Sihanoukville ici !» explique un propriétaire d’hôtel, en référence à la populaire station balnéaire cambodgienne dont le développement touristique s’est soldé par des buildings hideux et en a fait un haut lieu du tourisme sexuel. «Il y a des gens haut placés qui ont des maisons à Kep et qui comptent bien ne pas refaire les mêmes erreurs» ajoute-t-il. Ici en effet, on compte sur un tourisme haut de gamme comme dans les années 60.
Contrairement à sa voisine Kampot, plus routarde et très anglophone, Kep vise une clientèle de choix et les expatriés qui y vivent sont essentiellement francophones, que ce soit les résidants ou les tenanciers. Peut-être est-ce lié à son passé, ou simplement parce que les premiers à oser se réinstaller furent des Français. A l’orphelinat, on apprend la langue de Molière, et aujourd’hui deux écoles ont pris le relais.
La cité a séduit pas mal de personnalités intéressantes, comme le linguiste Jean-Michel Philippi qui envisage d’ouvrir un musée sur les minorités du Cambodge et organise régulièrement des conférences sur la région, ou le photo-reporter belge John Vink de l’agence Magnum. La communauté a pas mal de projets en tête, comme un festival de jazz ou le lancement d’un magazine.
A présent, Kep a aussi son petit bar français, la Baraka, où les «expats» se retrouvent le soir autour d’un petit canon servi par Maurice, un charismatique bourlingueur marseillais qui ne manque jamais d’histoires.
Douceur de vivre
Si la région offre pas mal d’activités, la cité envoûtante donne surtout l’envie de prendre le temps. Commencez la journée par admirer la vue de votre balcon, sur votre hamac, tout en respirant à plein poumons l’air frais de Kep, mélange d’embruns et de jungle.
Ensuite, au choix, paressez au bord de la piscine de votre hôtel ou tentez le bout d’un orteil dans le bain chaud qu’offre le golfe du Siam. Promenez-vous à vélo, à la découverte des villas abandonnées ou en rêvant sur les nombreux terrains à vendre.
Les plus sportifs feront une randonnée dans le parc national qui offre une vue panoramique sur la région, les amoureux de culture préféreront accompagner M. Philippi, l’expert régional, dans les villages de la minorité musulmane Cham, les grottes ou les temples préangkoriens de la région.
S’il vous prend l’envie d’ailleurs, prenez un ferry pour l’île aux lapins, pour passer une journée à lézarder sur la plage, ou poussez une pointe vers Kampot pour tenter l’ascension du Mont Bokor, à la découverte des vestiges brumeux d’un hôtel-casino et d’une église datant de l’époque française
Pour terminer la journée en beauté, passez au Sailing Club du Knai Bang Chatt pour siroter un cocktail sur le ponton en profitant d’un coucher du soleil splendide, à moins que vous ne vous laissiez tenter par une session tardive de catamaran entre les îles.
Et surtout terminez la journée par un repas chez «Kimly» au marché aux crabes, pour déguster la spécialité locale dans une préparation au poivre de kampot, trésor gastronomique de la région.
Plus une station balnéaire qu’un village, Kep est une destination de rêve, certes un peu coupée des réalités du Cambodge mais une escale envoûtante, qui fut et restera l’exception, le «Saint-Tropez» du Cambodge.