A Battambang, l’école de cirque offre un tremplin social aux jeunes de la région et oeuvre au renouveau de la culture cambodgienne. Le tout avec des spectacles époustouflants.
(Reportage au Cambodge en 2010)
Jonglerie, gymnastique acrobatique, théâtre, danse traditionnelle et même un zeste de capoeira… Chaque semaine, les jeunes artistes de l’école de cirque de Battambang tiennent les spectateurs en haleine avec des acrobaties spectaculaires sur des rythmes endiablés. Tous issus de milieux sociaux difficiles, ils sont déjà trois générations de professionnels à avoir été formés à « Phare Ponleu Selpak », une ONG locale qui travaille au renouveau de la culture cambodgienne, mise à mal par un génocide et trente ans de guerre. L’occasion de soutenir des jeunes dont le talent et la détermination leur ont permis de prendre une revanche sur la vie.
Transmission du savoir
Phare Ponleu Selpak, qui signifie « Lumière de l’Art », est installée à quelques kilomètres du centre de Battambang, à quelques heures de Siem Reap, la célèbre « cité des temples ». Située sur la rive gauche du lac Tonlé, cette province fertile est souvent appelée le « greniez à riz du Cambodge». Mais c’est aussi l’une des régions qui a le plus longtemps souffert de la guérilla khmère rouge et à la fin des hostilités, la guerre a cédé la place à la misère. C’est parmi les populations défavorisées, sur une vaste plaine au milieu des champs que l’organisation a posé bagage en 1994.
A l’origine du projet, huit jeunes adultes qui ont grandi à « Site 2 », un camp de réfugiés à la frontière thaïlandaise. Enfants, ils ont bénéficié d’ateliers de dessin organisés pour les aider à exprimer leurs traumatismes. De retour dans leur village natal, ils créent une école de dessin afin de transmettre ce qu’ils ont reçu à la nouvelle génération.
L’un des fondateurs, Khuon Det, également formé en gymnastique acrobatique, lance en parallèle une école de cirque. « C’était difficile au début. », se souvient le professeur dévoué. « J’avais très peu d’argent ; Je m’étais installé sous un simple abri. Les premiers élèves, très pauvres, vivaient, mangeaient et dormaient avec moi. »
Avec le temps et les subventions, la situation s’améliore et Det complète sa formation à l’école du cirque de Phnom Penh ainsi qu’en Europe. Pendant ses absences, ce sont ses meilleurs élèves qui forment les autres. Il les envoie ensuite en France pour qu’ils complètent à leur tour leur formation pédagogique et artistique. Une transmission du savoir qui n’a jamais cessé depuis.
Le cirque comme tremplin social
Si le cirque offre aux enfants une voie d’expression, c’est aussi une porte ouverte sur un meilleur avenir. « L’art a changé ma vie » partage Phunam, l’héroïne du spectacle de la troupe « Puthou ! ». A dix huit ans, cette jeune cambodgienne a déjà fait deux tournées en Europe. Issue d’une famille pauvre avec un père alcoolique et violent, Phunam a fait du chemin. Les épaules droites, avec la prestance des danseuses, elle revient sur son parcours : « Autrefois, je me levais chaque matin à quatre ou cinq heures pour aller vendre des fruits au marché. Ensuite, je me dépêchais pour revenir à temps pour le début des cours ».
Sa vie prend un tournant décisif à l’âge de onze ans, lorsque Det remarque son talent et lui propose de s’investir dans le cirque. « Il m’a expliqué que si je travaillais dur tous les jours, je pourrais avoir un bon travail, gagner de l’argent, faire des spectacles et peut-être même une tournée en Europe! » se souvient la jeune fille au large sourire. Si elle a d’abord fait ce choix pour aider sa famille, Phunam rêve à présent de devenir une artiste professionnelle à part entière afin de voyager dans le monde entier.
Un projet en expansion
Aujourd’hui, le site de « Phare Ponleu Selpak » a bien changé. L’abri de fortune du jeune professeur a laissé place à une dizaine de bâtiments : l’école de musique, de dessin, le studio de graphisme, le chapiteau, le centre de loisirs, l’orphelinat, l’école primaire…
Dans tous les coins, des enfants en uniformes courent, jonglent, dansent. Par-dessus les rires, une mélodie envoûtante s’élève des instruments traditionnels en bois, chatouillés par les doigts experts des élèves. Au centre de la plaine en terre battue, trône la salle d’entraînement de l’école de cirque, aux allures de temple sacré. Des élèves y exécutent en silence les positions inconfortables dictées par leur professeur. A côté, quelques artistes travaillent sans relâche leurs enchaînements au trapèze.
De l’endroit se dégage une ambiance sereine, presque familiale. Mais aussi le goût de l’effort et un parfum de réussite : celle de la nouvelle génération qui est prête à tout pour s’en sortir, celle de l’ancienne qui a réussi à redonner confiance en l’avenir.

Une réflexion sur “A Battambang, la jeunesse entre en piste”